Josephine Heinzelmann et Guillaume Gabus

L’intelligence artificielle joue un rôle dans un nombre croissant de domaines de la vie des gens dans notre pays. Le développement technologique a toujours quelques longueurs d’avance sur les connaissances des utilisatrices et utilisateurs comme sur la réglementation juridique. Avec l’« état des lieux de l’IA », la Confédération pose les bases de la future réglementation de l’intelligence artificielle en Suisse. digitalswitzerland salue cette étape importante.

L’intelligence artificielle est de plus en plus présente dans tous les domaines de la vie. Elle est utilisée par un nombre croissant de personnes au quotidien et offre de grands potentiels économiques. Le monde politique s’y intéresse aussi, car ses applications dans l’économie, la science et l’administration ne cessent de se développer. Parallèlement à ces opportunités, les attentes de la société envers l’IA augmentent elles aussi : transparence, équité et responsabilité sont des éléments essentiels pour que la population l’accepte dans la durée. La réglementation de l’intelligence artificielle (IA) n’est donc plus seulement une question de concurrence technologique et économique entre la Suisse, l’UE, les États-Unis et la Chine, mais aussi une nécessité sociale et un enjeu économique important.

Pour exploiter au mieux les technologies d’IA en Suisse, il est nécessaire de créer des conditions-cadres appropriées. Une réglementation équilibrée peut créer la confiance sans freiner l’innovation. digitalswitzerland considère que le document sur l’état des lieux relatif aux approches réglementaires en matière d’intelligence artificielle (IA) en Suisse, publié par l’Office fédéral de la communication (OFCOM), et la décision de principe du Conseil fédéral sont des premiers pas importants qui vont dans la bonne direction.

La Suisse dans le contexte mondial

La Suisse est confrontée à des défis stratégiques complexes découlant de développements internationaux dynamiques. L’IA est un domaine particulièrement important, où les États-Unis, la Chine et l’UE sont engagés dans une course à l’innovation. Parallèlement, le débat sur les approches réglementaires opposées est polarisé : où la Suisse se positionne-t-elle entre la densité de la réglementation européenne et la dérégulation de la nouvelle administration américaine ? Quelles seraient les conséquences pour la Suisse si elle ne pouvait plus importer des puces d’intelligence artificielle hautement performantes en raison de la législation américaine en vigueur ?

Grâce à une stratégie géopolitique numérique globale, la Confédération entend garantir la capacité d’action de la Suisse en tant que partenaire innovant et fiable dans la concurrence mondiale, la développer et assurer sa participation à l’international sur les plans technologique, concurrentiel, scientifique et sécuritaire.

Parallèlement, la Confédération doit prendre en considération les demandes des associations sectorielles afin de pouvoir apporter des réponses pragmatiques aux questions réelles de l’économie locale. La décision du Conseil fédéral de ratifier la Convention sur l’IA du Conseil de l’Europe et d’opter pour une approche sectorielle en Suisse plutôt qu’une loi globale sur l’IA est une première étape dans cette direction qu’il convient de saluer. Ainsi, les réglementations et les prescriptions ne vont pas s’appliquer à toutes les branches ou à tous les secteurs de manière uniforme, mais être adaptées spécifiquement à certains secteurs ou industries. Cette stratégie est conforme à la tradition juridique suisse, qui repose sur la neutralité technologique[1] et sur des solutions basées sur des principes[2]. L’approche choisie par la Confédération permet une réglementation sectorielle des applications de l’IA en fonction des besoins des secteurs, afin de protéger les droits fondamentaux et la capacité d’action politico-économique dans le contexte national et international.

Évaluation de digitalswitzerland sur les décisions du Conseil fédéral en matière d’IA

digitalswitzerland salue l’exhortation à renoncer à une loi-cadre et à privilégier plutôt des ajustements et des compléments ponctuels au niveau des lois et des ordonnances ainsi que des réglementations sectorielles. digitalswitzerland salue également la ratification de la Convention du Conseil de l’Europe. Les raisons en sont les suivantes :

  • La protection des droits fondamentaux comme condition préalable au renforcement de la confiance dans l’IA : la protection des droits fondamentaux lors du développement et de l’utilisation de systèmes d’IA est de la plus haute importance pour la confiance dans l’intelligence artificielle. La ratification de la Convention sur l’IA du Conseil de l’Europe renforce cet objectif. La régulation fondée sur des principes garantit que les droits fondamentaux de la population sont protégés à l’ère numérique.
  • Une réglementation basée sur la technologie et les principes pour promouvoir l’innovation : la neutralité technologique garantit que la réglementation s’applique non à des technologies spécifiques mais à des principes généraux. Cela évite d’exclure à l’avance de nouvelles technologies et crée ainsi un environnement propice à l’innovation. En se fondant sur des principes, ce sont les résultats souhaités qui sont visés et non les moyens d’y parvenir.
  • L’approche sectorielle permet la flexibilité : une approche sectorielle offre de la flexibilité, car elle permet de traiter différemment les mêmes applications d’IA selon les secteurs. Ainsi, il est largement admis que les logiciels de reconnaissance faciale sont inappropriés à la surveillance sur le lieu de travail. Dans le secteur de la santé en revanche, cette même technologie pourrait rendre de précieux services, par exemple pour détecter une dépression. Cette flexibilité sectorielle favorise l’innovation.
  • Subsidiarité et collaboration public-privé : digitalswitzerland salue l’approche pragmatique du Conseil fédéral, qui combine des mesures légales et juridiquement non contraignantes. La Confédération mise sur une collaboration entre les secteurs public et privé, les organisations proches du monde économique jouant un rôle central dans le développement de normes et de bonnes pratiques. digitalswitzerland salue également la responsabilité individuelle des entreprises et le développement sectoriel de solutions de droit non contraignant. La subsidiarité du système suisse permet de réagir avec souplesse aux nouveaux défis. Le secteur économique est conscient de sa responsabilité et contribue, par ses propres initiatives, à garantir la protection des droits fondamentaux dans le domaine de l’intelligence artificielle jusqu’à l’entrée en vigueur du projet suisse visant à mettre en œuvre la Convention sur l’IA du Conseil de l’Europe

En résumé, digitalswitzerland se félicite des décisions du Conseil fédéral. La Suisse adopte une approche prometteuse qui exploite les opportunités de l’IA tout en minimisant les risques. La collaboration entre l’État et l’économie est essentielle afin de créer un cadre flexible mais stable pour développer l’IA.

Coup d’envoi pour une réglementation ciblée de l’IA en Suisse

L’état des lieux de l’OFCOM et la décision du Conseil fédéral marquent la fin d’une discussion de fond sur la manière de gérer l’IA en Suisse et l’ouverture d’un débat approfondi sur les opportunités et les risques de l’intelligence artificielle pour l’économie et la société. L’approche sectorielle choisie par la Confédération s’appuie sur le solide système juridique suisse ; il s’agit maintenant de déterminer si et comment adapter la réglementation dans les lois actuelles afin de garantir la sécurité juridique des entreprises suisses tout en assurant la connectivité internationale du pays.

Il convient toutefois de prendre en considération les points suivants :

  • La mise en œuvre de la Convention sur l’IA dans un projet d’ici fin 2026 est un objectif ambitieux qui exige une exécution efficace et rapide. Pour garantir une application claire et pratique, il est indispensable de soigneusement spécifier les principes abstraits de la Convention. Le débat sur la question de savoir quelles lois relèvent des domaines touchant aux droits fondamentaux sera complexe.
  • La volonté du secteur économique de prendre une part active à la mise en œuvre sera déterminante pour ancrer efficacement les mesures non contraignantes sur le plan juridique. Il s’agit de trouver un juste équilibre entre la protection des droits fondamentaux et la promotion de l’innovation.
  • La réglementation suisse doit être compatible avec celle de ses principaux partenaires commerciaux afin de faciliter l’accès au marché pour les entreprises suisses. La Confédération tient compte du point de vue européen et examinera les adaptations nécessaires pour l’accès à ce marché dès que les négociations avec l’UE seront terminées.

Conclusion : une étape importante vers une stratégie d’IA durable en Suisse
L’état des lieux et la décision du Conseil fédéral marquent une étape importante pour l’avenir technologique et économique du pays. L’approche sectorielle choisie garantit à moyen terme non seulement une sécurité juridique pour les entreprises et les utilisateurs, mais renforce également la capacité d’innovation de la Suisse face à ses concurrents dans le monde entier. En adoptant une réglementation flexible et fondée sur des principes, la Suisse peut préserver sa traditionnelle neutralité technologique tout en garantissant la protection des droits fondamentaux.
L’adaptation des lois actuelles aux nouveaux défis, combinée à l’instauration de « sandboxes » réglementaires relatifs à la recherche et au développement, crée un environnement dynamique pour l’innovation. Cela renforce la confiance dans les technologies d’IA et permet d’en exploiter pleinement leur potentiel.
L’IA n’est pas seulement une affaire de réglementation, mais aussi une question de société. Dans ce contexte, les universités et les écoles spécialisées ont un rôle clé à jouer, tant dans la recherche et le développement des technologies d’IA que dans la transmission des connaissances et de la compréhension nécessaires à leur utilisation responsable. L’éducation et la formation continue sont essentielles pour préparer la population aux changements à venir. Les écoles, les universités et les entreprises doivent ensemble transmettre les compétences en matière d’IA, aux professionnels comme au grand public. Seules les personnes qui comprennent l’IA peuvent prendre des décisions en connaissance de cause et participer activement à son évolution. Les entreprises et les institutions publiques devraient montrer l’exemple en matière d’utilisation de l’IA.
Avec cette approche combinée, la Suisse souligne sa détermination à gérer l’intelligence artificielle de manière responsable tout en exploitant les possibilités économiques offertes par ces nouvelles technologies. L’enjeu sera désormais de mettre en œuvre concrètement une réglementation de l’IA de manière à assurer un équilibre entre réglementation, innovation et responsabilité éthique. Dans l’ensemble, la stratégie proposée par la Confédération constitue une base solide pour positionner durablement la Suisse comme pôle leader dans le domaine de l’IA.

Infobox : Quels documents ont été publié et quelles décisions ont été annoncées le 12 février ? L’OFCOM a publié quatre documents et un communiqué de presse qui présentent une analyse complète de la situation actuelle et qui esquissent des approches réglementaires possibles. L’état des lieux analyse différentes options, de la poursuite de la réglementation sectorielle à la ratification de la Convention sur l’IA du Conseil de l’Europe et à l’adaptation au Règlement européen sur l’intelligence artificielle. L’analyse juridique de base examine les conséquences de ces instruments internationaux sur le droit suisse et met en évidence les actions requises en matière de transparence, de protection des données et de non-discrimination. L’analyse sectorielle met en lumière les défis auxquels sont confrontés différents secteurs tels que la santé, l’énergie et les transports. L’analyse par pays montre comment d’autres pays réglementent l’IA, en partant des approches fondées sur les risques jusqu’aux engagements volontaires. Enfin, le communiqué de presse informe de la décision du Conseil fédéral de ratifier la Convention sur l’IA du Conseil de l’Europe et de procéder aux adaptations juridiques nécessaires.  Dans l’ensemble, les documents préconisent une approche graduelle qui met en œuvre la Convention sur l’IA du Conseil de l’Europe, privilégie les réglementations sectorielles et les complète par des mesures juridiquement non contraignantes.


[1] Les mesures réglementaires et politiques sont conçues de manière à ne pas favoriser ou défavoriser une technologie en particulier. Au contraire, elles permettent à toutes les technologies se s’épanouir dans un cadre équitable, pour autant qu’elles répondent aux exigences légales et éthiques définies.

[2] Réglementations, lois ou approches qui ne sont pas régies par des directives ou des règles détaillées et spécifiques, mais par des lignes directrices ou des principes supérieurs qui définissent le cadre. Ces principes de base doivent être suffisamment souples pour s’appliquer à différentes situations tout en garantissant les valeurs et les objectifs souhaités.